le cerveau se remplit d'atomes crochus, de colères rentrées, d'oiseaux pointus,
de vomissures secrètes, d'escaliers sans fin, de vents étoilés, de cagibis prisons,
de pieds de grues enfoncés dans la vase,
de feuilles mortes, d'ondulations, de nausées, de piques et pêches,
et puis
le cerveau se vide
Bien fait ! c'est tout ce qu'il mérite
on ne lâchera rien.
on sera heureux, juste pour faire la nique à ce qui hait
on dira oui, on dira non, mais on saura pourquoi
on aimera quand il faudra, plus souvent qu'à son tour
on poussera les vieux démons dans la fosse de l'indigence
on lèvera le poing et puis
on ouvrira les poings fermés jusqu'à ce qu'il en surgisse des chants-oiseaux
on se relèvera autant de fois que nécessaire
et jamais seule et jamais seul
on gravera sur les nuages des mots entiers qui feront taire le vent des explosions
parce qu'on le peut
parce qu'on le doit
les arbres fantômes ont avalé leur ciel de mousse
aux cheveux emmêlés quadrillant les aurores
les mémoires tapissées
les ombres étouffantes
ne peut-on dire que le bois souffre
lui aussi des verts encombrements
des souffles raccourcis
des esprits erratiques et des mondes inversés
qui n'ont plus de chemins
qui resteront cachés
La forêt monte au dessus de ma tête, dans la crispation des pieds, dans les cailloux jetés à plaisir devant mon souffle.
Car la forêt n’est pas que cet épuisement des vallées qui s’arrachent aux monts enrubannées de feuilles.
Peu à peu elle se symphonise et s’orchestre d’oiseaux, de grincements, de balancements, de rythmes, de syncopes qui animent la matière du bois, l'emprise de la terre, la confrontation intime du mort et du vivant.
Alors les pieds s’allègent, la respiration devient musique, mon oreille a gagné sur la pente rugueuse une danse, un son, un frottement de chansons singulières, un ensemble de questions vibrantes à l’unisson du cœur qui s’efforce
et se retrouve enfin.
j'ai enregistré hier une vidéo courte de l'occupation de la voie express à Quimper. Des dizaines de bras tapent en cadence sur les glissières, et ne disent rien d'autre à cet instant que l'accord absolu d'un rythme spontané : triomphe de la musique sur la bêtise !
l'espace d'un moment la route redevient savane, redevient chant
le rituel monte à la face du mépris, à la face de ce qui, là-haut, ne nous aime pas
le plus petit commun, multiple cœur, n'en finit pas de battre
le temps n'existe plus, pour un quart d'heure d'éternité, la voie est libre, on y marche dans l'air saturé, et l'on respire quand même
des vieux des jeunes, des femmes des hommes, des drapeaux des parapluies, parce que le printemps giboule quand il veut
des bras à l'unisson qui dansent la colère, sans même savoir ce qu'il y faut gagner, et si l'on va gagner
mais l'offrande fugace des palettes et des herbes fauchées, des cailloux qui martèlent, lance au-dessus, lance au ciel bouché, ce crachat de fumée noire qui exhale la puissance du nombre
qui donne le droit d'être libre, le droit d'être peuple
le droit d'être
nous avons toujours besoin, finalement, que le trait existe, que la couleur se répande, que la rage se dessine, que le monde sorte de nos têtes
pour revenir à lui
pour devenir celui que nous avons créé, voulu, inventorié
durant le temps infime qu'il fallait pour le faire transparaitre
même s'il était mort-né
Regarder le ciel jaune zébré d'oiseaux blafards. Eux, qui s'envolent. Qui crient.
Eux qui ne dorment pas, avec les chiens, sur le vide où pleut une ombre lasse
Au dessus du volcan la ville appelle. Même le feu profond dit qu'il faut partir. Nulle part.
Surtout.
Qu'il ne suffit plus de respirer entre l'ardoise et le bitume, de dormir sur les marches, d’attendre un jour après.
La terre brûlante dit de partir, avant que d'être morte. Avant que d'avoir froid.